Jean L'Hour, «Ré’shît et beré’shît encore et toujours», Vol. 91 (2010) 51-65
Prenant le relais d’une étude récente du premier mot de la Bible l’auteur développe son argumentation en faveur d’une signification concrète du mot ré’shît au sens de premier produit. L’examen du vocabulaire dans la Bible le conduit à voir dans l’usage cultuel et concret de ce terme le vivier où a puisé l’auteur de Genèse 1,1 pour formuler sa confession de foi en exergue du récit de la création et en programme de Torah — Loi et Histoire — pour les humains et pour Israël.
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RÉ’SHÎT ET B eRÉ’SHÎT ENCORE ET TOUJOURS
Les 51 emplois bibliques du mot dans la Bible hébraïque se partagent
entre plusieurs champs sémantiques aux frontières d’ailleurs perméables:
emplois temporels (début), cultuels (prémices), profanes (premiers
produits) et métaphoriques (meilleurs ou principaux) 4. Puisque l’objectif
final de l’étude est d’apporter un éclairage sur Gn 1,1 traditionnellement
compris dans un sens temporel, l’examen des textes commencera par les
emplois temporels du terme. Seront ensuite étudiés les emplois cultuels,
largement majoritaires, puis les emplois profanes et les emplois méta-
phoriques. Restera alors à se demander s’il est possible de repérer un topos
de départ de ce vocabulaire et, finalement, si l’hapax que constitue Gn 1,1
peut se rapprocher de l’un ou l’autre des champs sémantiques étudiés.
1. Les emplois temporels (10)
Sur les 51 emplois seuls 9 sont indiscutablement et exclusivement
temporels, une dixième occurrence (Gn 10,10) pouvant prêter à débat.
Dans cinq cas ré’shît (commencement, début, passé) est en opposition
à Ãaharît (fin, dernier, avenir): Dt 11,12 5 ; Is 46,10 ; Jb 8,7 ; 42,12; Qoh 7,8.
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La dimension temporelle y est explicite. La temporalité est relative comme
l’atteste l’état construit, quatre fois sur cinq, des mots ré’shît et Ãaharît : ce
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sont les extrémités passées et à venir d’une histoire, d’une activité ou d’une
période de temps. Même quand les mots sont à l’état absolu comme en
Is 46,10, les traductions absolues “commencement†et “fin†conviennent
sans doute moins bien que les traductions relatives “passé†et “avenirâ€,
“ début †et “termeâ€. En effet, le ré’shît du v. 10 renvoie aux ri’shonôt du
v. 9, les “choses passées†dont il faut se souvenir, et le parallèle en 10b
évoque le futur, “ce qui n’a pas encore été faitâ€.
Quatre autres emplois explicitement et exclusivement temporels se
trouvent, à l’état construit, en Jérémie — 26,1; 27,1; 28,1; 49,34 — pour
marquer le début d’un règne: “au début du règne de X...†6. L’expression
l’afformante it affecte rarement des noms concrets et plus fréquemment des
noms abstraits, mais il n’en donne que peu d’exemples dont, précisément, le
mot ré’shît.
Oswald, “Erstlingswerk Gottesâ€, distingue trois champs de signification:
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‘Anfang, Bestes, Erstlingâ€. Nous choisissons de subdiviser le troisième champ
en usages profanes et usages cultuels.
L’orthographe diffère légèrement: réshît et non ré’shît. Les rabbins
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expliquent cette singularité en notant que le mot devient ainsi l’anagramme de
tishri, le premier mois de l’année. Selon Wellhausen cité par J. SKINNER,
Genesis (ICC ; Edinburgh 21930) 12, Dt 11,12 serait le premier exemple du sens
temporel de ré’shît, l’acception cultuelle du mot étant donc antérieure.
On trouve en Dn 8,23 la formule parallèle et antithétique: “à la fin de leur
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règne â€.