Jean L'Hour, «Ré’shît et beré’shît encore et toujours», Vol. 91 (2010) 51-65
Prenant le relais d’une étude récente du premier mot de la Bible l’auteur développe son argumentation en faveur d’une signification concrète du mot ré’shît au sens de premier produit. L’examen du vocabulaire dans la Bible le conduit à voir dans l’usage cultuel et concret de ce terme le vivier où a puisé l’auteur de Genèse 1,1 pour formuler sa confession de foi en exergue du récit de la création et en programme de Torah — Loi et Histoire — pour les humains et pour Israël.
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RÉ’SHÎT ET B eRÉ’SHÎT ENCORE ET TOUJOURS
Il semble bien que, dans ce texte de Prov 8,22, les traducteurs aient eu en
tête les premiers mots de la Genèse et qu’ils aient plus ou moins consciem-
ment suppléé dans le texte des Proverbes la préposition b e avec un sens
temporel, ce qu’ont d’ailleurs fait explicitement la Syriaque et le Targum.
Outre qu’il convient de préserver la syntaxe de l’hébreu, le sens concret me
paraît, ici aussi, s’imposer, ne serait-ce qu’en raison du parallélisme avec le
terme éminemment concret p e{alayw — “ses œuvres†— en 22b.
Dans deux textes quasiment identiques mais inversés, c’est aussi,
semble-t-il, le même sens concret de “premier produit†qu’il convient de
retenir. Il s’agit de Pr 1,7 (yir e’at YHWH ré’shît da{at) et Ps 111,10 (ré’shît
hokmah yir e’at YHWH). Communément traduits “la crainte du Seigneur est
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le commencement / le principe / le fondement du savoir / de la sagesseâ€,
ces textes sont généralement compris comme établissant une relation de
cause à effet entre la crainte Dieu et l’acquisition de la sagesse: la crainte
de YHWH est première et c’est elle qui donne la sagesse. Si, par contre, on
donne à ré’shît le sens concret de premier produit, la logique est inversée:
“ le premier produit/fruit de la sagesse est la crainte de YHWHâ€. Ce n’est
plus la crainte de Dieu qui engendre la sagesse, mais bien celle-ci qui
engendre la crainte de YHWH 27. Cette interprétation plaçant la sagesse Ã
l’origine de tout, y compris la crainte du Seigneur, est en totale harmonie
avec le contexte de Pr 1,1-7 et 8,22-31 et, plus explicitement encore, avec
2,1-9 : “... si tu prêtes l’oreille à la sagesse et inclines ton esprit à l’intel-
ligence . . . , si tu la recherches comme de l’argent.., alors (Ãaz) tu compren-
dras la crainte de YHWH et tu trouveras la connaissance de Dieu.†Le texte
de Pr 9,10, où le mot ré’shît est remplacé par le substantif abstrait t ehillah
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suit également, en dépit des apparences, la même logique: “le commence-
ment de la sagesse est la crainte de YHWH†(t hillat hokmah yir ’at YHWH).
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Tout le contexte de 9,1-12 parle en effet uniquement ˙de la sagesse et de ses
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ZAW 94 (1982) 58-66. L’auteur voit en ré’shît un “Adverb of Time†et traduit
“ at the beginning†(62), et pourtant la structure qu’il développe (61) met ce mot
en parallèle avec des mots concrets (abîmes, sources, cours d’eau, montagnes,
collines). Parmi les traductions ayant opté pour un terme abstrait, rares sont
celles qui traitent ré’shît comme un double accusatif ou prédicat. Par contre
toutes les traductions ayant choisi un terme concret traitent ré’shît comme
double accusatif ou prédicat, ce qui, me semble-t-il, est plus conforme à la
syntaxe de l’hébreu, syntaxe d’ailleurs respectée par la LXX et la Vulgate. Il est
à noter que Ringgren: H. RINGGREN – W. ZIMMERLI. Sprüche – Prediger
(ATD 16 ; Göttingen 1962) 38-41, après avoir traduit par “als Anfang seines
Tuns â€, utilise dans son commentaire une expression concrète: “als erstes seiner
Werke â€. R.B.Y. SCOTT, Proverbs. Ecclesiastes (AB 18; Garden City, NY 1965)
68, 73, va très loin dans l’abstraction: “The Lord possessed me, the first prin-
ciple of his sovereigntyâ€.
OSWALD, “Erstlingswerk Gottesâ€, 417.
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