Jean L'Hour, «Ré’shît et beré’shît encore et toujours», Vol. 91 (2010) 51-65
Prenant le relais d’une étude récente du premier mot de la Bible l’auteur développe son argumentation en faveur d’une signification concrète du mot ré’shît au sens de premier produit. L’examen du vocabulaire dans la Bible le conduit à voir dans l’usage cultuel et concret de ce terme le vivier où a puisé l’auteur de Genèse 1,1 pour formuler sa confession de foi en exergue du récit de la création et en programme de Torah — Loi et Histoire — pour les humains et pour Israël.
59
RÉ’SHÎT ET B eRÉ’SHÎT ENCORE ET TOUJOURS
discorde récolte la tempêteâ€. Nous n’avons relevé que deux traductions qui
font de pôter mayim le sujet et de ré’shît madôn le prédicat de la proposi-
Ë™
tion, Ã savoir la Vulgate (qui dimittit aquam caput est iurgiorum) et la New
English Bible 32 : “Stealing water starts a quarrelâ€. Le sens, on le voit, n’est
plus le même. Aussi bien la Vulgate que la NEB paraissent plus conformes
à la syntaxe du texte hébraïque. Une multitude d’adages dans le livre des
Proverbes débutent en effet, comme ici, par un participe présent, et celui-ci
est toujours le sujet de la phrase. Il s’agirait donc ici d’un délit réel de
détournement d’eau entraînant, par voie de conséquence, le déclenchement
d’un procès. Une telle mise en garde ne serait pas surprenante dans le
contexte d’aridité du Proche Orient. Grammaticalement plus correcte, la
traduction de la Vulgate et de la NEB fait cependant difficulté dans le
contexte de la tradition sapientielle d’Israël comme de l’Ancien Orient où
l’un des plus grands dangers à éviter est précisément toute forme de
querelle et de procès. Le livre des Proverbes à lui seul contient une ving-
taine de mises en garde en ce sens 33 et le second stique de notre verset —
“ avant que n’éclate le procès, laisse tomber†— exprime précisément le
même souci. En résumé la première traduction paraît plus fidèle à la gram-
maire et la seconde plus en cohérence avec le contexte proche et lointain.
Mais comment réconcilier le sens et la grammaire? Les deux traductions
ont en commun de donner au mot ré’shît le sens abstrait de “commence-
ment †et là est sans doute la source de la difficulté. Il suffit de donner Ã
ré’shît le sens concret de “premier produit†pour que toute difficulté s’éva-
nouisse, et cela donne: “ouvrir les eaux est le “premier produit†/ “la
première conséquence d’une disputeâ€.
Le sens de premier produit est bien établi dans ces textes. Certes, dans
la mesure où ré’shît désigne l’objet résultant d’une activité d’engendrement
ou de création, la dimension de temporalité relative, et aussi d’importance
ou de prééminence, n’en est évidemment pas absente, mais elle reste
seconde et ne saurait en évacuer la réalité concrète de premiers produits. Il
paraît vraisemblable que le sens général et profane de premier produit soit
antérieur aux emplois cultuels techniques de “prémicesâ€. Mais ceci est une
hypothèse qui nécessiterait une étude linguistique plus approfondie.
NEB (1970), suivie par la Revised English Bible (1989) — REB.
32
Pr 3,30; 6,14.19; 10,12; 15,18; 16,17.19.28; 18,16; 20,3; 22,10; 25,8;
33
26,17.20 ; 28,25; 29,22; 30,33. Voir aussi les Conseils de Sagesse babyloniens,
ANET 426b ; W.G. LAMBERT, Babylonian Wisdom Literature (Oxford 1960)
101; B. GEMSER, “The rîb- or controversy- pattern in Hebrew Mentalityâ€,
Wisdom in Israel and in the Ancient Near East (eds. M. NOTH – W. THOMAS)
(Leiden 1960) 120-137.