Marc Rastoin, «Simon-Pierre entre Jésus et Satan», Vol. 89 (2008) 153-172
In the history of research, Luke 22:31-34 has been on the whole judged to be a rather awkward composition consisting of traditional material and Lucan wording. This article intends to show the completely Lucan character of the passage as well as the theological meaning Luke attached to it. In these verses,
Luke reveals his literary mastery as well as his theological overall project in Luke-Acts: the primacy of Peter is rooted in the prayer of Jesus Christ himself during His Passion.
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l’effort d’aller chercher un verbe lucanien rare pour l’insérer dans ce
contexte. L’effet du verbe devomai contribue à l’allure archaïsante de
Luc 22,31. Il en va de même du verbe “siniavzw†qui est unique dans
le Nouveau Testament (et même dans la littérature grecque connue). Il
est peu vraisemblable que les sources lucaniennes de la Passion aient
fourni ce verbe à Luc.
En outre, la référence à ce Testament de Benjamin nous permet de
relever avec d’autres combien Luc inscrit des dernières heures de Jésus
dans le style des testaments des grands hommes, style que déploie les
Testaments des Douze Patriarches. Il installe ainsi un Jésus qui
prophétise sur ce qu’il adviendra après son départ. Il fera de même
avec Paul qui, lors de son discours de Milet, annoncera qu’après son
départ, “il s’introduira parmi vous des loups redoutables qui ne
ménageront pas le troupeau, et que du milieu même de vous se
lèveront des hommes tenant des discours pervers dans le but
d’entraîner les disciples à leur suite†(Ac 20,29b-30). Le topos
traditionnel que Luc reprend ici est celui où le testateur prophétise la
grande épreuve avant de mourir et assure de son soutien pour la
surmonter (24). C’est ainsi que Lévi assure que, grâce au prêtre nouveau
qui viendra, “Béliar sera lié par lui et il donnera à ses enfants de fouler
aux pieds les esprits mauvais†(25). De même Dan exhorte: “Craignez le
Seigneur mes enfants et prenez garde à Satan et à ses esprits†et il
assure dans la foulée que “l’ange de la paix lui-même soutiendra Israël
pour qu’il ne tombe au plus profond du mal†(26).
Beaucoup de commentateurs soulignent que ce verbe remet à la
mémoire le prologue de Job où Satan est autorisé à ‘tenter’ Job. Ce qui
est certain, c’est que ce verbe est propre à Luc, qui l’utilise en Lc 5,12,
9,40, 21,36, en 22,32 et de nouveau en Ac 4,31, 8,22.24 et en 10,2. Par
une ironie bien lucanienne, en Lc 8,24, c’est bien un autre Simon (‘le
magicien’), invité à prier par Simon-Pierre, qui demande à son tour Ã
Simon-Pierre de prier pour lui afin que le châtiment annoncé par ce
dernier ne se produise pas… Ce mal qui habite son cœur a sans doute
partie liée avec le démon, comme en Ac 5. En Lc 9,40, nous retrouvons
(24) Ce genre trouve son origine biblique dans les discours d’adieu de Jacob
en Gn 49 et de Moïse en Dt 33. Le livre des Jubilés livre également un discours
d’adieu de Rébecca (Jub 35) ou d’Isaac (Jub 36). Dans leur introduction Ã
l’édition de la Pléiade, Ecrits intertestamentaires (Paris 1987), A. Caquot et M.
Philonenko relèvent que “diverses prédictions viennent s’insérer dans la trame des
discours d’adieuâ€, lxxviii.
(25) Testament de Lévi 18,12, Ecrits intertestamentaires (Paris 1987) 856.
(26) Testament de Dan 6,1.5, Ecrits intertestamentaires (Paris 1987) 898.