Marc Rastoin, «Simon-Pierre entre Jésus et Satan», Vol. 89 (2008) 153-172
In the history of research, Luke 22:31-34 has been on the whole judged to be a rather awkward composition consisting of traditional material and Lucan wording. This article intends to show the completely Lucan character of the passage as well as the theological meaning Luke attached to it. In these verses,
Luke reveals his literary mastery as well as his theological overall project in Luke-Acts: the primacy of Peter is rooted in the prayer of Jesus Christ himself during His Passion.
162 Marc Rastoin
En utilisant la double apostrophe, “Simon, Simonâ€, Luc renvoie
aux grandes doubles apostrophes de l’Ancien Testament. En effet, au
moment solennel, Dieu appelle ses élus par deux fois. Et la Septante
respecte cet élément du texte originel. C’est le cas d’Abraham:
“Abraham, Abraham†(Gn 22,11) (15), de “Jacob, Jacob†(Gn 46,2), de
“Moïse, Moïse†(Ex 3,4) et de “Samuel, Samuel†(1 S 3,4.6.10) (16). La
répétition entraine, en grec comme en hébreu, un effet d’insistance et
d’affection tout à la fois. Cet effet est bien connu de la tradition juive
qui souligne que, là où quelqu’un est appelé deux fois par son nom,
Dieu manifeste sa tendresse et son amour. C’est ainsi que le prince des
commentateurs Rachi commente Gn 22,11: “‘Abraham, Abraham!’
(Gn 22,11); C’est un langage d’affection. C’est une marque d’affection
que Dieu lui donne en l’appelant deux fois par son nom†(cf. Rachi ad
loc) (17). Or, en utilisant la technique du double appel en Lc 10,41
(“Marthe, Martheâ€) et en Lc 13,34 (“Jérusalem, Jérusalemâ€), passages
qui lui sont propres, Luc montre qu’il en connait la valeur (18). Par
——————
included in Rehkopf’s list of pre-Lukan expressions are the vocatives Sivmwn
Simwn and kuvrie, together with satana'", ejkleivpein, sthrizein, ei\pen, c. dat., and
v
v
e{w"â€, in V. TAYLOR, The Passion, 65. Dans cette liste, le jeu entre satana'" plus
hébraïque et diavbolo" plus grec (cf. Lc 4,13), tout comme l’alternance entre
Simon et Pierre, me paraissent très lucaniens au contraire, tout comme la racine
sthrizein d’ailleurs employée dans ce sens dans les Actes (cf Ac 15,41).
v
(15) Dans la Septante, la répétition se trouve également à l’ouverture en Gn
22,1.
(16) Dans la Septante, la répétition se trouve en 1 S 3,4.6 mais pas en 10. En
revanche elle est dans la bouche du prêtre Eli au verset 16.
(17) Cf. Le Pentateuque, accompagné du commentaire de Rachi (Paris 19712)
I,135. François Bovon dans son commentaire (à paraître) sur Lc 22 note
également: “La répétition d’un nom n’est pas inhabituelle dans les langues
sémitiques. Luc, ou sa tradition, recourt au procédé en 6,46 (‘Seigneur, Seigneur’)
et en 10,41 (‘Marthe, Marthe’); le procédé ressurgit en Ac 9,4 (Saoul, Saoul’). Il
exprime de l’estime et de l’affectionâ€. Je remercie vivement le professeur Bovon
de m’avoir permis de lire son commentaire avant qu’il ne soit publié. En
revanche, relève B. Standaert c’est une marque de réprimande lorsqu’il appelle
une fois: Ainsi le “Simon, j’ai quelque chose à te dire…†(Lc 7,40). “Là où le nom
ne retentit qu’une seule fois, c’est signe d’un jugement ou encore d’une sévère
correction.†Cf. B. STANDAERT, L’espace Jésus (Paris/Bruxelles 2005) 63. Cette
dernière affirmation est, pour le moins, à nuancer car, autant les cas de double
appel sont peu nombreux, autant les cas de simple vocatif sont très nombreux et
correspondent à des situations très différentes. Si la première affirmation est
exacte, son corollaire n’est pas valide.
(18) Cette touche lucanienne est parfois relevée par les commentaires. Ainsi
Lenski écrit: “The doubling of the address expresses deep solicitudeâ€, en faisant