Marc Rastoin, «Cléophas et Lydie: un 'couple' lucanien hautement théologique.», Vol. 95 (2014) 371-387
The literary device of the synkrisis, the methodological comparison between two persons or situations, is regularly used in Luke's work, in particular to create links between the Gospel and Acts. A particular synkrisis unites the Emmaus episode (Lk 21,13-33) and the meeting between Paul and Lydia (Acts 16,5-11). In both narratives, the rare verb parabia/zomai is employed and, while this has been pointed out by commentators, the theological value of this synkrisis has nevertheless been underestimated. Luke had a deeply theologically inclusive agenda, and the parallels between Cleophas, the Jewish man who meets the Risen One, and Lydia, the pagan woman who meets Paul the Apostle, illustrate this.
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Cléophas et Lydie:
un ‘couple’ lucanien hautement théologique
Les exégètes, tout comme les simples lecteurs, ont depuis long-
temps remarqué l’intérêt particulier de Luc pour les femmes. Il est
fréquent que Luc crée des scènes mettant en valeur les femmes là
où les autres évangélistes ne représentent que les hommes. Par ail-
leurs Luc est aussi le seul évangéliste à avoir créé une œuvre dou-
ble, ou une œuvre unique en deux volumes: Luc et Actes. Les échos
et reprises entre les deux livres sont nombreux et contribuent à créer
un effet de continuité qui est au service de la théologie lucanienne:
celle-ci en effet tient à mettre en valeur la continuité qui unit le
Christ aux prophètes d’une part 1 et celle qui unit les Apôtres (Pierre
et Paul en particulier) avec Jésus. La nouveauté bien sûr n’est pas
mise sous le boisseau mais située dans un mouvement qui souligne
l’unité du dessein divin depuis les origines. Pour n’en donner qu’un
seul exemple bien connu, s’il est vrai que les premiers disciples
prient dans leurs maisons, ils continuent cependant de se rendre
également au Temple (cf. Ac 2,46).
Pour unifier son œuvre, relativement importante par la taille,
Luc utilise tous les moyens à la disposition d’un auteur hellénis-
tique. Des scènes sont reprises ou se font écho (ainsi la rencontre
du centurion Corneille est préparée par celle du centurion pour le-
quel Jésus effectue une guérison). En outre ― selon une technique
sans doute universelle et en tout cas déjà bien présente dans l’An-
cien Testament 2 ― des passerelles entre péricopes sont créées par
la reprise d’expressions, de noms ou de verbes qui évoquent une
scène antérieure 3. C’est ainsi, là encore, pour ne donner qu’un
1
A cette christologie prophétique fondamentale appartient aussi la syn-
krisis opérée entre Jésus et Jean Baptiste. Cf. H. MAHFOUZ, La fonction litté-
raire et théologique de Lc 3,1-20 dans Luc-Actes (Beyrouth 2003).
2
M. Buber et F. Rosenzweig ont souligné la place des Leitwörter dans la
Torah (M. BUBER – F. ROSENZWEIG, Scripture and Translation (Bloomington,
MN 1994).
3
R. ALTER, The Art of Biblical Narrative (New York 22011 [1981]) 120-121,
relève que l’emploi de Leitwörter est souvent lié à la reprise de ‘scènes-types’.
BIBLICA 95.3 (2014) 371-387