Samuel Bénétreau, «L’espérance chrétienne selon l’épître aux Hébreux: une spécificité?», Vol. 92 (2011) 97-111
The originality of the Epistle to the Hebrews among the texts of the New Testament is a well established conviction. What this originality consists in, where it lies and how it manifests itself remain to be analysed. This article purposes to show that such a widespread and decisive notion for the Christian message as «hope» evinces particular traits in this epistle. Their presence is best understood by their relationship with Christology and, especially, with the theme of the celestial priesthood of the Son.
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2. Une voie ouverte (He 6,18-20)
Nous avons en He 6,18-20 la présentation la plus originale mais aussi
la plus complexe de l’espérance. Ces versets appartiennent à une parénèse
qui se veut très positive, après le sombre tableau (6,4-10) de l’éventualité
de la chute de croyants qui avaient bien commencé. Clairement, à partir
du verset 11, l’auteur de l’épître cherche à fortifier la foi et l’espérance
des destinataires. Il a recours, dans ce but, Ã la promesse faite au grand
ancêtre Abraham (v. 13-17). Parmi les nombreuses promesses rapportées
dans le livre de la Genèse, c’est la dernière (Gn 22,16-18) qui est privilé-
giée, car elle s’accompagne d’une formule de serment: “Je le jure par
moi-même, oracle de Yaweh ... je te comblerai de bénédictions et je
multiplierai ta descendanceâ€. La notion de serment (la formule du serment
elle-même n’est pas reprise dans l’épître) va permettre de signaler deux
fondements pour l’espérance, “deux actes irrévocables†(la promesse et le
serment, 18a) qui se rejoignent pour en faire un seul, la promesse totale-
ment fiable de Dieu. La fin du verset 18 introduit un aspect du pèlerinage
des croyants en ce monde qui rend très précieux l’encouragement
dispensé : qualifiés au verset 17 de riches “héritiers de la promesse†(héri-
tiers qui n’ont touché que les arrhes!), ils sont décrits, de façon très
réaliste, par le participe katafygontev, littéralement “ayant fuiâ€. Il faut
Â¥
voir là une description globale de la condition chrétienne et non une situa-
tion particulière (contrairement à l’avis de Spicq: “des exilés ou des réfu-
giés â€) 24. Ce qu’ils ont fui n’est pas indiqué (13,13: fuir “le campâ€, celui
des pratiques d’une une religion sans force?), mais la direction Ã
emprunter et le but de la démarche sont clairement désignés. L’expres-
sion, dans sa concision, rappelle des fuites vers des refuges bien connues,
celle de Lot (Gn 19,20), celle du meurtrier vers une ville de refuge (Nb
35,25-28 ; Dt 4,41-42; 19,5-6) ou auprès de l’autel (Ex 21,13-14; 1 R 2,28),
ou encore l’exode d’Israël, jadis. Les “héritiers†doivent, sans tarder
trouver un ferme abri en “s’emparant deâ€, en “mettant la main surâ€
(krathsai) une valeur du plus haut prix, l’espérance 25.
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Cette espérance a été proposée aux fidèles: prokeimenh. Où et¥
comment ? Avant de prendre en compte la proposition relative qui, en
grec, prolonge au verset 19 l’encouragement qui leur est destiné, on doit
préciser ce point: prokeımai c’est “placer devantâ€, soit dans le sens
Â¥
“ d’exposer en publicâ€, soit dans celui “de placer devant une personne
C. SPICQ, l’Épître aux Hébreux 2 (EB 40-42; Paris 1953) 163.
24
Comme le remarque WESTCOTT, The Epistle, 162, “le choix de
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krathsai au lieu de labeın ou d’un autre verbe de ce genre est une façon
˜ ˜
d’insister sur le devoir d’un engagement soutenu; krathsai, c’est s’emparer
˜
de et s’attacher à ce qui a été pris de cette manièreâ€.