Sophie Ramond, «La voix discordante du troisième livre du Psautier (Psaumes 74, 80, 89)», Vol. 96 (2015) 39-66
In the neo-Babylonian period, ideologically antagonistic literary circles propose various conceptions of the relationship between God and his people. The aim of this article is to examine which of the Psalms of collective laments in Book III could be classified as dissident texts, refuting the mainstream opinion that justifies the actions of God and thus places the blame on the people for the situation of devastation and exile. More specifically, Psalms 74, 80 and 89 are analysed to find out whether they present a theological strand different from the dominant deuteronomistic line of thinking.
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LA VOIX DISCORDANTE DU TROISIÈME LIVRE DU PSAUTIER 61
YHWH pour qu’il agisse en faveur de ses serviteurs outragés. Cette
composition de la fin du VIème ou du début du Vème siècle a intégré
un hymne au Dieu créateur, peut-être originaire du Nord mais
adapté au contexte judéen. L’insertion des vv. 4-5, dont la mention
de l’alliance avec David signale le caractère postexilique, assure la
jointure entre l’hymne et l’oracle qui suit. Quant au v. 53, inséré
probablement à la fin de l’époque perse, il conclut la troisième col-
lection du Psautier.
IV. Les Psaumes 74, 80 et 89, témoins d’une théologie dissidente
Le trait le plus notable de ces psaumes est qu’aucun d’entre eux
ne comporte une dénonciation du comportement du peuple, rejet
de YHWH ou adoration d’autres dieux, ce qui expliquerait la catas-
trophe de l’exil. Ils se situent ainsi à contre-courant de l’école deu-
téronomiste de la période néo-babylonienne. En revanche, si
celle-ci s’emploie à démontrer que YHWH demeure un dieu puissant
malgré la suprématie babylonienne, ces psaumes soulignent aussi
cette caractéristique divine: les Psaumes 74 et 89 chantent la vic-
toire de YHWH sur le chaos, suivie de son intronisation comme roi
sur la création. Quant au Psaume 80, il utilise le langage des titula-
tures royales de YHWH: “YHWH siégeant sur les chérubins” et
“YHWH des armées”. Toutefois la puissance divine est dénoncée
parce qu’elle se retourne contre d’Israël pour conduire à l’exil, à la
dévastation du peuple (Psaume 80), au saccage et à la profanation
du temple (Psaume 74), à la disparition de la dynastie davidique
(Psaumes 80, 89).
1. La cause de la perte du pays et de la fin de la dynastie davidique
Selon notre interprétation de ces psaumes, la perte du pays ne
résulte donc pas de la colère divine provoquée par le comportement
d’Israël. Si, pour l’école deutéronomiste, le don de la terre prend
la forme d’une conquête militaire sous l’égide de YHWH qui dépos-
sède lui-même les nations, ce don n’est pas conditionnel pour nos
psaumes. De ce fait, la dévastation du pays et la dispersion parmi
les nations sont interprétées non comme des conséquences de l’in-
fidélité d’Israël (cf. Isaïe 5), mais comme un agir arbitraire de
YHWH dévastant la vigne dont il avait pris tant de soin (Psaume 80).