Sophie Ramond, «La voix discordante du troisième livre du Psautier (Psaumes 74, 80, 89)», Vol. 96 (2015) 39-66
In the neo-Babylonian period, ideologically antagonistic literary circles propose various conceptions of the relationship between God and his people. The aim of this article is to examine which of the Psalms of collective laments in Book III could be classified as dissident texts, refuting the mainstream opinion that justifies the actions of God and thus places the blame on the people for the situation of devastation and exile. More specifically, Psalms 74, 80 and 89 are analysed to find out whether they present a theological strand different from the dominant deuteronomistic line of thinking.
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l’agir divin demeure insondable et incompréhensible. Le saccage
et la profanation du temple sont perçus à la fois comme une menace
pour la stabilité du cosmos et comme un acte blasphématoire visant
Dieu lui-même. Pourtant celui-ci semble l’auteur et le responsable
de cette situation et le psaume interroge la discordance entre un
passé au cours duquel Israël a expérimenté la bienveillance divine
— exode et procession vers la montagne sainte où Dieu demeure
— et un présent de violence et de chaos, dont le fait le plus trou-
blant est le saccage du temple. La dénonciation de l’agir divin porte
donc essentiellement sur la perte du lieu de rencontre avec Dieu, le
temple, et sur la rupture de relation entre lui et son assemblée, et
sur l’instabilité qu’elle génère pour le cosmos tout entier.
6. Un ajout postérieur dans les vv. 19-21
Certains éléments indiquent toutefois que les vv. 19-21 sont un
ajout postérieur 20: le vocabulaire utilisé dans les vv. 19-21 est ab-
sent du reste du psaume et en particulier de la supplication des dix
premiers versets, alors que le v. 18 contient les mêmes verbes que
le v. 10. N’y apparaissent pas les thématiques de la profanation de
la terre et du sanctuaire, ni celle des ennemis de YHWH comme aux
vv. 4.10 et aux vv. 22-23. En revanche, la référence à l’alliance in-
troduite au v. 20 est surprenante dans le contexte d’ensemble du
psaume; l’expression inhabituelle utilisée (tyrbl jbh) semble ac-
cuser Dieu de manquer aux obligations de l’alliance. L’idée que le
pays est rempli de violence suggère la faute du peuple comme en
Éz 7,23; 8,17. Si tel est le cas, les “opprimés”, les “pauvres” et les
“malheureux” sont les victimes non pas d’oppresseurs étrangers
mais des puissants en Israël. L’insertion des vv. 19-21 corrige en
quelque sorte la tonalité d’ensemble du psaume en insinuant la part
de responsabilité d’Israël dans la situation de chaos et de violence
décrite et en transformant la supplication en appel à Dieu pour qu’il
agisse en faveur des opprimés et des humiliés du pays. Dans la se-
conde moitié du VIème siècle ou au début du Vème l’ajout de ces ver-
sets a pu avoir pour visée de dévitaliser le potentiel subversif et
contestataire du texte originel et de le transformer en une “proto-
20
M. EMMENDÖRFFER, Der ferne Gott. Eine Untersuchung der alttesta-
mentlichen Volksklagelieder vor dem Hintergrund der mesopotamischen
Literatur (FAT 21; Tübingen 1998) 98-99.