Christian-B. Amphoux, «La grande lacune du Codex de Bèze.», Vol. 17 (2004) 3-26
One of the most important NT manuscripts, the codex Bezae, included between the Gospels and the Book of Acts several writings that are nowadays
lost. The present article corrects the author’s former views, published in 1996, concerning the contents of this lacuna: the 66 missing pages may very well have included a seven letters corpus, in fact a forerunner of the Catholic Epistles corpus, including Hb but not yet Jd. The analysis of these letters allows us both to understand better the period of redaction of NT writings and to bring this enterprise in connection with the writing process of the Old Testament.
24 Christian-B. Amphoux
premier, et le Martyre de Polycarpe, pour le second31. Pourtant, la struc-
ture mise au point par ces deux auteurs ne sera pas transmise. Dès les
années 170, les corpus amplifiés des évangiles et de Paul sont conservés,
mais affranchis de la construction qui lie entre eux les écrits réunis, par
une révision textuelle profonde. L’ordre des évangiles et des épîtres est
modifié, de manière à faire de chaque écrit une œuvre autonome. Les
chrétiens s’éloignent alors de la culture dans laquelle ont été réalisés les
premiers corpus: ils rejoignent la démarche des pharisiens qui, après 70,
réunissent les livres de la Bible hébraïque en conservant l’ordre ancien,
mais en reléguant en fin de recueil les livrets qui servaient à marquer le
point central de chaque corpus.
Conclusion
Les variantes du Codex de Bèze ont à première vue un intérêt de
curiosité. Les chercheurs se demandent encore si leur origine n’est pas
multiple, tant il semble étrange que le texte des évangiles et des Actes ait
connu de si profonds changements au tout début de son existence. Mais
la grande lacune qui sépare les évangiles et les Actes ouvre la voie à une
meilleure explication de ces variantes.
Au regard de l’histoire de la formation du Nouveau Testament, Ã
travers les premiers témoignages, on peut proposer un contenu précis Ã
cette lacune: elle contenait sept lettres qui sont, dans l’ordre, Jacques – 1-2
Pierre – Hébreux – 1-3 Jean. Quatre de ces lettres ont eu comme première
fonction d’accompagner la diffusion d’un premier écrit évangélique (Jc,
1 Pi, Hb, 1 Jn); une cinquième lettre a été remplacée (Eph), parce qu’elle
était entrée dans le corpus paulinien formé entre temps: la nouvelle épître
(2 Pi) provient du milieu de Jérusalem après 70; enfin, deux billets (2-3
Jn) sont ajoutés à la collection pour porter à 7 le nombre des lettres et
pour que soit respectée la proportion du simple au double inversée, qui est
celle du corpus dont ces épîtres occupent le centre. Et la fonction sacer-
dotale de Jésus que développe l’épître aux Hébreux prend ainsi un relief
particulier, elle devient la quintessence de l’expression de la seigneurie de
Jésus.
Entre les écrits produits par la première génération chrétienne, princi-
palement les épîtres de Paul et les sources des évangiles, et la mise au point
L’appendice du meilleur témoin du Martyre de Polycarpe, conservé à Moscou et copié
31
au xiiie siècle, comporte cette indication: “Irénée… fait mention de Polycarpe, disant qu’il
avait été son disciple… et nous transmit la règle (kanôn) ecclésiastique et catholique, telle
qu’il l’avait reçue du saintâ€, trad. P.Th. Camelot, Sources chrétiennes 10 (Paris 41969) 237.
Cette “règle†pourrait bien être le deuxième état du corpus, représenté par le Codex de Bèze
(pour les évangiles et les Actes) et le Codex Claromontanus (pour Paul).