André Wénin, «Le temps dans l’histoire de Joseph (Gn 37–50). Repères temporels pour une analyse narrative», Vol. 83 (2002) 28-53
This study of the time element in the story of Joseph goes through three stages. (1) Observation of the general temporal structure, the dyschronies (38; 46,8-27) and the detailed structure surrounding the central act (41,53-57 and 47,13-26) goes on to clarify the link between time as given by the narrator and time in the story itself. (2) Attention is then given to the prolepses and other forms of anticipation, among which are Joseph’s dreams, about which we enquire to what extent, if any, they lead up to what comes later, and the oracle given at Beer-sheba that announces the final act. (3) Lastly, among the flashbacks, some analepses are studied — the late mention of the interpreter in 42,24, Joseph’s distress, related in 42,21-22, and Jacob’s final words for the brethren in 50,16-17 — but also the retrospective glances cast by some of the characters on past history, especially Judah’s words to Joseph in 44,18-34. These flashbacks bring out the formation of the brotherhood which the story recounts. The story of Joseph thus appears as a story showing how the healing and humanization of human relations are achieved by telling the story of a life.
passé peut revenir à la mémoire, bien qu’il ne soit évoqué directement ni par Juda ni par le narrateur. Le porte-parole des frères, Juda, est un homme qui connaît de l’intérieur les sentiments d’un père qui, comme Jacob, a vu disparaître deux fils et risque de perdre "l’unique" qui lui reste. Lorsqu’il devait donner Shéla à Tamar, Juda n’a-t-il pas eu peur? N’a-t-il pas refusé d’exposer le dernier de ses fils à un risque qu’il pensait mortel (38,11.14b)? Sur cette base, le lecteur comprend mieux le comportement de Juda vis-à-vis de son père57. Du reste, cette aventure avec Tamar lui a aussi enseigné qu’un coupable qui fait la vérité pour épargner à un innocent le malheur qu’il risque de lui infliger, permet au bien et à la vie de traverser le mal qu’il a fait58. N’est-ce pas là ce qu’il fait à présent devant ce maître dont il ignore encore qu’il est son frère?
Ce rappel discret induit, à mon sens, que ce que Joseph a fait vivre aux frères de leur passé n’est pas le seul facteur de leur l’avancée vers la fraternité: c’est aussi ce que le temps a apporté à chacun — en particulier à Juda — comme expérience de vie et de maturation personnelle. N’a-t-il pas fallu du temps, et la longue maturation qu’il a permise, pour que Joseph soit capable de dire lors de la naissance de Manassé: "Dieu m’a fait oublier toute ma peine et la maison de mon père" (41,51b)? Or ce nom, loin de consacrer un oubli, comme Joseph semble le dire, garde plutôt le souvenir de blessures dont le traumatisme a cessé de lui faire mal lorsque, le temps et les circonstances aidant, la vie a pu reprendre le dessus59.
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On le voit: non seulement le narrateur de l’HJ élabore un récit où le traitement du temps balise savamment pour le lecteur les voies de la compréhension de l’intrigue en sa profondeur humaine. Non